Ce vendredi 2 octobre 2020, on célébrait le vingtième anniversaire de l’album « Kid A » de Radiohead. Est-ce qu’un album peut changer son propre rapport à la musique pour toujours ? Est-ce qu’un disque peut remuer autant l’intérieur deux décennies après sa sortie ? Il semblerait que oui…
Sziget festival, Budapest, Hongrie, le 12 août 2006. Je suis placé au 6e rang, un peu à gauche quand on regarde la scène. Sur les écrans géants, un minuteur égrène les minutes qui nous séparent du concert de Radiohead sur la « main stage » du festival. Je suis ému, je réalise la chance que j’ai d’être au bon endroit au bon moment. Il fait chaud, le public est heureux, everything in its right place.
2006, c’est déjà loin dans l’histoire du groupe, dans sa discographie. C’est seulement un an avant la sortie du disque « In Rainbows ». Les puristes diront que c’était trop tard, qu’il fallait les avoir vu en 2000 à Saint-Denis, ou au Grand Rex, dans un décor plus intimiste. Soit. Mais difficile de bouder son plaisir d’être là, à quelques mètres seulement de Thom Yorke et des frères Greenwood. Les poils se dressent aux premières notes de « Airbag », les larmes roulent sur les joues rougies pendant « Karma Police », les jambes ne soutiennent plus rien quand le groupe entame « Street Spirit (Fadeout) » pour clore un set magnifique. Un set qui comprend également « Nude », joué pour la première fois sur scène à l’occasion de cette tournée. Sur scène, les guitares et les claviers se disputent déjà aux machines joueuses.
Ça c’est pour le souvenir live. Des larmes, il en est sorti d’autres en écoutant les disques de Radiohead, avant et après cette date. Pour la beauté du geste, pour l’intensité des morceaux, aussi parce que les albums de Yorke et compagnie nous accompagnent souvent dans les différentes étapes – j’allais écrire épreuves – de notre vie. Je dis « nous » car je sais que nous sommes une armée dans ce cas. J’imagine que ça doit marcher avec d’autres artistes pour d’autres personnes.
Le 2 octobre 2000 sortait donc « Kid A ». Un album qui marque un tournant dans la riche aventure musicale de Radiohead. Dans une chronique célébrant l’anniversaire, Jack, de Canal +, parle de l’arrivée du disque comme d’une « petite déflagration ». « Kid A » fait suite au très esthétique, emblématique « OK Computer », une succession forcément difficile. C’est là que la magie des Britanniques opère. C’est précisément à cette période qu’ils décident de tout balancer en l’air, de jeter les bases d’une nouvelle ère. À partir de cette date, les beaux accords, les jolies mélodies à la guitare laissent place aux machines et aux expérimentations en tout genre. Et ça marche. Du premier coup. Certains adhèrent tout de suite – c’est mon cas – quand d’autres doivent y revenir un peu plus tard. C’est le cas d’Antoine Cottret, professeur de musique, auteur-compositeur notamment au sein du groupe rouennais Yallinn. Son analyse est d’autant plus intéressante que le Monsieur a étudié « Kid A » et « Amnesiac » en fac de musicologie il y a quelques années maintenant. « On m’avait prêté « Kid A » au lycée, mais j’étais plutôt branché sur Weezer ou Offspring, des groupes américains. Je ne connaissais même pas « OK Computer » ! Le pote qui m’avait refilé le CD m’avait prévenu : « C’est de la merde ! ». Je n’ai pas accroché tout de suite, c’est vrai », se souvient Antoine. Comme beaucoup d’autres, ce qui va le faire revenir vers « Kid A », c’est le film « Vanilla sky », avec Tom Cruise, remake du film espagnol « Ouvre les yeux ». Le titre « Everything in its right place », qui ouvre le long-métrage, figure en bonne place sur la bande originale.
Mais alors enfin, en quoi « Kid A » rebat les cartes de la musique rock-pop-indé-électro-songwriting ? « L’album prend un virage électro énorme. Radiohead avait produit les meilleurs morceaux possibles avec des guitares sur « The Bends » ou « OK Computer ». Avec « Kid A », le groupe offre un disque déroutant, avant-gardiste, même si tous ces sons existaient déjà. On y retrouve un french connexion, un instrument qui ressemble aux ondes Martenot. Je voulais absolument m’en acheter un à l’époque, mais ça valait plus de 3 000€ ! », poursuit celui qui joue encore aujourd’hui « Everything in its right place » lors de ses balances clavier sur scène.
À l’heure où nous célébrons tous les 20 ou les 25 ans des disques qui ont marqué la jeunesse des jeunes quarantenaires que nous sommes, ce « Kid A » semble s’imposer comme le plus bouleversant de sa génération, pour toutes les raisons évoquées plus haut. Et s’il vous prenait la folle envie de le repasser sur votre platine, de vous le caler au fond de l’oreille avec votre écouteur sans fil, laissez-vous embarquer par les mélodies, les arrangements, les bruits de machine, les cris dans la nuit, les subtilités et cette incroyable collection de morceaux à tiroirs. C’est comme plonger dans la fontaine de Jouvence, comme faire un saut dans le passé composé de ce qui se faisait – et ce qui se fait encore aujourd’hui – de meilleur. On peut ne pas aimer Radiohead, on peut avoir décrocher avec « Kid A », on peut ne pas avoir pris l’aspiration du virage électro. Mais on ne peut pas nier l’évidence : cet album a changé l’horizon musical de nombre d’entre nous, et de la musique que l’on appelle à tort ou à raison « rock indé ».
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