Édition : vers un nouveau modèle « Exemplaire » dans la BD ?

Des auteurs de bande dessinée se regroupent au sein d’une structure éditoriale alternative, à cheval entre l’édition et l’autoédition. « Exemplaire », c’est le nom d’un projet qui, s’il marque la volonté de faire autrement, appuie aussi là où ça fait mal : le problème de la juste rémunération des auteurs et des illustrateurs.

« Les éditions Exemplaire, pour une plus grosse part du camembert ». Une formule simple qui illustre parfaitement la démarche des quelques auteurs à l’origine de la structure. Et pour la comprendre, il faut se plonger dans le quotidien des auteurs de BD, dans leurs contrats, et bien souvent le peu qu’il leur reste à la fin du mois. En 2017, l’association des États généraux de la bande dessinée annonçait l’ampleur des dégâts : 36% des auteurs de BD vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour un album « qui marche », le fonctionnement est à peu près celui-là : l’auteur touche une avance de son éditeur, quelques milliers d’euros en fonction du projet et de celui ou celle qui le porte. Une fois la bande dessinée mise dans les rayons, l’auteur ne touche des droits seulement quand son avance est remboursée à l’éditeur. Ensuite, et en général, il touche 8% du prix de l’album au premier palier, puis 10 et 12% si l’œuvre se vend (très) bien. Une somme à partager si c’est un travail collectif (auteur + illustrateur). Un système qui marque ses limites quand on prend le temps de discuter avec certains auteurs, et quand on lit les griefs de Lisa Mandel, elle-même auteure et instigatrice de la structure « Exemplaire ». Un paradoxe quand on pense que le monde de la BD n’a jamais été aussi riche en productions et en auteurs. Des dizaines de nouveautés fleurissent chez les libraires chaque semaine.

Concernant l’auteur de BD, Lisa Mandel précise, dans sa présentation Ulule : « Non seulement il est de plus en plus mal payé, mais en plus, au fil du temps, on lui a demandé de prendre en charge des tâches qu’il n’avait pas à gérer auparavant : scanner ses pages, les nettoyer, parfois s’occuper de la maquette… Mais aussi faire lui-même sa promo sur les réseaux sociaux… Résultat : beaucoup d’entre nous sont aujourd’hui capables de produire un livre de A à Z. »

Alors « Exemplaire », qu’est-ce à dire exactement ? Eh bien c’est un test grandeur nature. Quitte à en faire de plus en plus soi-même, autant tout faire de A à Z. Une bonne dizaine d’auteurs se regroupent, parmi lesquels Soulcié, Pochep, Anouk Ricard, Marc Dubuisson, Lucile Gomez, Guillaume Long, Sandrine Deloffre, Charles Berberian, Théo Grosjean, Aurélien Fernandez et Lisa Mandel donc. Vous en connaissez sûrement un ou deux, même si vous n’êtes pas un spécialiste de la bande dessinée. Tous vont produire un album pour leur propre et nouvelle structure d’édition. Et chacun devrait toucher des droits 4 à 5 fois supérieur par rapport à un fonctionnement avec un éditeur classique sur les publications d’après. Le temps dira si la démarche est couronnée de succès. Avec La Revue Dessinée, un modèle différent a déjà été mis en place. Il fonctionne, le travail est soigné et de très grande qualité, mais les auteurs ne seraient pas les mieux lotis dans l’histoire, d’après une source bien informée des pratiques du milieu de la BD.

Pour découvrir la démarche, et éventuellement la soutenir – j’ai personnellement apporté une modeste contribution de 20€ -, il suffit de se rendre sur la page Ulule du projet « Exemplaire ». Tous les détails y sont donnés. Le financement participatif est déjà un énorme succès : au 1^er décembre 2020, près de 70 000€ (sur les 20 000€ demandés) avaient été collectés auprès de 2034 contributeurs. Cet argent va d’abord servir à créer l’entreprise, à rémunérer les juristes qui vont ficeler les beaux contrats et créer un site Internet. La contrepartie qui m’est offerte à mon apport de 20€ ? Un bon d’achat pour un livre au choix à paraître chez « Exemplaire ». J’ai déjà mis une option sur le recueil des dessins de presse de Thibaut Soulcié, mon chouchou. Et vous ?